TRAVAIL FLEXIBLE, SALARIÉS JETABLES, Fausses questions et vrais enjeux de la lutte contre le chômage

Essai collectif sous la direction de Michel Husson

La Découverte, coll. « Sur le vif », Paris, 2006, 133 pages, 8 euros

Les auteurs

Odile Chagny : économiste, spécialiste de l’Allemagne et du marché du travail. A publié «Les réformes du marché du travail en Allemagne », Revue de l’IRES n°48, 2005. Co-auteure de « Les comparaisons internationales de durée du travail, méthode et résultats pour sept pays », Données Sociales 2006, INSEE.

Pierre Concialdi : chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES). Notamment l’auteur de Retraites : on vous ment !, Mango, 2005.

Thomas Coutrot : économiste et statisticien, spécialiste des questions de travail et d’emploi, membre du Réseau d’alerte sur les inégalités et de la Fondation Copernic. Notamment l’auteur de Démocratie contre capitalisme, La Dispute, 2005.

Christophe Dejours : professeur titulaire de la chaire de Psychanalyse-Santé-Travail au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Dirige le laboratoire de psychologie du travail et de l’action du CNAM ainsi que la revue Travailler. Auteur de Souffrance en France, Seuil, 1998, et de L’évaluation à l’épreuve du travail, INRA Editions, 2003.

Gérard Filoche, inspecteur du travail, membre de la direction nationale du Parti socialiste, membre du conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic, notamment l’auteur de Le travail jetable, Ramsay, 1999, Carnets d’un inspecteur du travail, Ramsay, 2003, On achève bien les inspecteurs du travail, J.-C. Gawsevitch, 2004, À celle ou celui qui voudra porter les couleurs de la gauche en 2007, Ramsay http://www.democratie-socialisme.org

Michel Husson : économiste et membre de la Fondation Copernic. Co-auteur de Supprimer les licenciements, Syllepse, 2005, et auteur de Les casseurs de l’État social, La Découverte, Paris, 2003. http://hussonet.free.fr

Florence Lefresne : chercheure à l’IRES, spécialiste de l’emploi et des politiques publiques d’emploi en France et dans l’Union européenne, notamment au Royaume-Uni. Auteure de Les jeunes et l’emploi, Repères, La Découverte, 2003. Co-auteure de Les mutations de l’emploi en France, Repères, La Découverte, 2005.

Dominique Plihon : professeur d’économie à Paris 13 et président du Conseil scientifique d’Attac. Auteur de Le nouveau capitalisme, La Découverte, 2004, et coauteur de Les banques, acteurs de la globalisation financière, La Documentation française, 2006.

Emmanuel Renault : maître de conférences de philosophie à l’ENS-LSH (Lyon). Notamment l’auteur de Marx et l’idée de critique, PUF, 1995 ; Mépris social, Editions du Passant, 2000, 2004 ; Où en est la Théorie critique ? (dirigé avec Yves Sintomer), La Découverte, 2003 ; L’expérience de l’injustice, La Découverte, 2004.

Francisco Vergara : économiste et philosophe. Auteur de Les fondements philosophiques du libéralisme, La Découverte, 2002. Les articles peuvent être téléchargés sur http://www.fvergara.com

TABLE DES MATIÈRES

Introduction : Flexibilité et « réforme » du modèle social (Michel Husson)
TOUJOURS PLUS DE FLEXIBILITÉ, TOUJOURS PLUS DE PRÉCARITÉ
La France précarisée : un état des lieux (Pierre Concialdi)
L’ère de la précarité : vingt ans d’offensive patronale contre le droit du travail (Gérard Filoche)
« Soyez modernes : devenez flexibles ! » (Emmanuel Renault)
La flexibilité, ou l’autre nom de la servitude (Christophe Dejours)
L’HERBE EST-ELLE VRAIMENT PLUS VERTE AILLEURS ?
Les réformes du marché du travail en Allemagne : un exemple à (ne pas) suivre ? (Odile Chagny)
Le modèle britannique permet-il de créer des emplois ? (Florence Lefresne)
Les dessous du plein-emploi américain (Francisco Vergara)
FAUSSES SOLUTIONS ET VRAIS ENJEUX
La flexibilité, un remède au chômage ? (Michel Husson)
Une « flexicurité » à la française ? (Thomas Coutrot)
Précarité et flexibilité du travail, avatars de la mondialisation du capital (Dominique Plihon)

Résumé

Dans cet ouvrage collectif paru en 2006, quelques mois après la mobilisation populaire anti-CPE, les auteurs, montrent que le postulat du discours néolibéral dominant est faux : la flexibilisation du marché du travail amène une précarisation généralisée sans diminuer le chômage.  

Les auteurs avancent en effet que la modération salariale ou la flexibilité ne permettent pas de créer des emplois. La parenthèse française de 1997-2001 où la précarisation a été bloquée et s’est accompagnée de créations d’emplois en témoigne. À l’inverse, l’augmentation des contrats « atypiques » (intérim, CDD, emplois saisonniers, temps partiels subis, emplois aidés, placement de main-d’œuvre) et la dérégulation (sous-traitance, « externalisations », délinquance patronale, travail dissimulé, surtravail) ont amené une augmentation générale de la précarité en Europe, à des niveaux insupportables pour de grosses parties de la population, sans effet bénéfique sur le chômage.

« Rigidité, incapacité aux réformes, immobilisme ». Les auteurs s’attaquent aux accusations qui pèsent sur le système français pour montrer que les pays vantés comme des modèles sont loin d’être exemplaires.

Précarisation extrême

En Allemagne, pays où il n’y a pas de salaire minimum légal, les réformes de 2002 (lois Hartz) n’ont pas réglé la question du chômage mais ont répandu les emplois très précaires (minijobs, jobs à 1 euro) contribuant à faire pression vers le bas sur l’ensemble des rémunérations. Les exportations allemandes ont bien monté mais la demande intérieure a tellement stagné que le résultat sur l’emploi est négatif et s’est accompagné d’un bond du taux de chômage entre 2000 et 2005.

Chômeurs qui sortent des statistiques…

En Grande-Bretagne, on attribue à tort une hausse de l’emploi à la flexibilité. L’auteur en analyse les réelles causes : dévaluation monétaire suivie d’une hausse des dépenses publiques pour rattraper le retard accumulé dans la période thatchérienne, 2/3 des emplois créés le sont dans le secteur public. L’indépendance britannique par rapport au Pacte de stabilité permet à l’État d’emprunter pour financer l’investissement public, et ainsi de maintenir croissance et inflation. D’autre part, la population active n’a pas augmenté. L’auteur souligne par ailleurs l’énorme basculement des titulaires du chômage vers le régime d’invalidité. Le système britannique, très inégalitaire, est un des moins protecteurs de l’Union européenne avec un sous-emploi (bad jobs) très important, surtout pour les femmes, les jeunes et les minorités ethniques. La productivité au travail est faible. La lutte contre le chômage repose essentiellement sur « l’activation du marché du travail».

Francisco Vergara déconstruit le mythe du plein-emploi américain en montrant que l’Europe crée autant d’emploi que les États-Unis et que les réformes reaganiennes ont plutôt contribué à ralentir la création d’emploi. Après avoir précisé les concepts d’emploi, inactivité et chômage soumis à des variations culturelles, il explique que la baisse du chômage américain n’est pas non plus due à la flexibilité, mais à une baisse du taux d’activité (par découragement les gens sortent du marché de l’emploi), à une hausse du taux d’incarcération et à une évolution de la pyramide des âges.

De même, en Suède, Danemark, Finlande, le recul du taux de chômage sans création d’emplois s’explique par la baisse de la population active. De nombreux dispositifs font sortir des catégories de la population de la définition statistique du chômage (temps partiel et autres statuts intermédiaires). Pour Thomas Coutrot, la référence au modèle danois est en fait « purement rhétorique » dans la mesure où de ce modèle social de haut niveau, la thèse néolibérale ne retient que le volet flexibilisation. L’auteur met en garde contre des transpositions de modèles hasardeuses au vu des contextes différents (le service de l’emploi est par exemple géré par des syndicats puissants). Il précise les principes à respecter pour une sécurité sociale professionnelle réussie. 

Veut-on vraiment sortir du chômage de masse ?

Pour les auteurs, financiarisation et mondialisation relèvent d’un choix politique délibéré visant à renforcer la domination du capital. Dominique Plihon analyse les ressorts de cette domination du capital financier (mobilité, pression des investisseurs internationaux déconnectés de l’économie réelle, mondialisation des systèmes productifs). Le remodelage du rapport de force entre salariés et capital au profit de ce dernier par la mise en concurrence généralisée des travailleurs a massivement entrainé baisse des rémunérations, précarisation, affaiblissement des solidarités syndicales, chômage de masse. On a assisté à un changement de doctrine dans les années 80. Alors que le turn-over était auparavant mal considéré, de nouvelles méthodes d’organisation sont apparues (qualité totale, évaluation individuelle des performances, contrôle qualité) au profit de la domination. Derrière les injonctions à la modernité, la politique néo-libérale menée sous l’impulsion du grand patronat français est un retour en arrière visant à détruire les acquis sociaux et à revenir à un capitalisme ancien, sans entrave. Les auteurs démasquent l’idéologie néolibérale derrière des discours visant à faire passer la précarité pour naturelle, inévitable, donc légitime. Les auteurs se livrent à une analyse sémantique de ses éléments de langage. Par exemple, la valorisation du contrat au détriment de la loi qui relègue le législateur hors de l’économie au profit des « partenaires sociaux », le contrat de gré à gré qui escamote le lien de subordination attaché au rapport salarié/employeur, rebaptisés « collaborateurs ». La précarité étant présentée comme naturelle, indissociable de la liberté et revalorisée à travers le terme de « risque », l’individu est sommé de dépasser ses peurs et son inertie, pour être moderne et assumer sa « liberté ». La responsabilité sociale des entreprises est invoquée comme une solution bien que démentie par la souffrance au travail constatée.

La mobilisation au travail persiste en effet malgré des dégradations importantes de ses conditions d’exercice. Pour l’expliquer, Christophe Dejours analyse le concept anthropologique de « centralité subjective du travail » (l’importance du travail pour l’être humain). À travers la question du zèle, il aborde les « ressorts psychologiques » de ce qu’il identifie comme de la servitude.

Michel Husson dénonce la tentative néolibérale de semer la division dans le corps social : il démonte l’argumentation en faveur de la flexibilisation consistant à opposer insiders « privilégiés » et outsiders injustement exclus alors que c’est précisément la flexibilisation qui aggrave la segmentation du marché du travail. Les politiques néolibérales pesant en réalité aussi sur les salariés dans des contrats standards (salaires et conditions de travail), « prendre appui sur la situation des plus maltraités pour remettre en cause les acquis sociaux qui existent encore ne peut conduire qu’à une dégradation de la situation des insiders qui ne conduirait en rien à une amélioration de celle des outsiders. » La mobilisation contre le CPE est à cet égard une réponse saine de solidarité.

Pour Gérard Filoche la résistance sociale est présente comme en attestent les mobilisations anti-CPE, ce qui est facteur d’espoir. Mais pour d’autres, elle est en retard puisque la flexibilité a déjà été réalisée. Un mouvement social à l’échelle internationale est souhaitable pour contrer l’offensive néo-libérale.

CE QUE NOUS AVONS AIMÉ

Les chapitres peuvent se lire indépendamment les uns des autres. Écrites en 2006, les analyses sont toujours très pertinentes pour comprendre où nous en sommes aujourd’hui. Les analyses terminologiques de l’idéologie sont bien étayées d’exemples concrets.

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