Responsabilisation des chômeurs

On dit que...

Les chômeurs doivent se responsabiliser

Assistanat

Les chômeurs sont qualifiés d’« assistés, de fainéants, de profiteurs ». Macron : « Protéger les plus faibles, ce n’est pas les transformer en assistés permanents de l’État. Les gens en situation de difficulté, on va davantage les responsabiliser car il y en a qui font bien et il y en a qui déconnent. »

Emplois non pourvus

« Du travail il y en a plein. Il suffit de traverser la rue. »

Ce qui sous-entend que…

L’individu est responsable, non le système

Vision moralisante et individualisante

On pose le problème comme conjoncturel et non structurel. Le chômeur est considéré comme responsable de son chômage alors même qu’il y a du chômage de masse. L’individu est culpabilisé, soupçonné de comportement opportuniste consistant à préférer toucher des aides plutôt que travailler.

Méritocratie et égalité des chances

Les personnes qui réussissent ne devraient leur succès qu’à leur mérite tandis que les autres ne font pas assez d’efforts.

Doctrine du workfare (rendre le travail «payant») ou « activation des chômeurs »

Les recommandations de l’OCDE en matière d’indemnisation du chômage reposent sur la doctrine du workfare. Dans la doctrine économique dominante, le marché du travail, censé conduire spontanément au plein-emploi, ne doit pas être « perturbé » par l’octroi d’allocations de chômage élevées pendant une période longue.

En réalité…

Mythe de l’assistanat

Les indemnités sont l’argent des chômeurs

Les indemnités chômage ne sont pas de l’argent public : c’est une assurance financée par les cotisations de tous les salariés et employeurs pour se prémunir contre le risque de la perte d’emploi, préjudice anticipé. Le salarié cotise tous les mois pour cette assurance. On peut trouver étrange une assurance qui change ses règles au fur et à mesure sans vous consulter pour ne pas payer ce qu’elle vous doit. Et encore plus étrange qu’on vous culpabilise de percevoir cet argent.

Le chômage n’est pas une sinécure ni un choix de vie

Il est injuste de demander au chômeur de « faire des efforts » ; il ne se complaît pas dans sa situation. Un chômeur indemnisé n’est pas un profiteur en puissance, mais une personne compensée pour la privation dont elle souffre. 85 % des chômeurs sont en recherche active d’emploi. Les 15% restants sont essentiellement des chômeurs découragés. Travailler amène de la reconnaissance sociale, l’appartenance à un groupe, le sentiment d’être utile, la possibilité de faire des projets d’avenir. Les conséquences sociales de la privation d’emploi sont désastreuses. D’après l’Unedic, la répartition des dépenses de l’allocation chômage  selon motifs montre que 43  % indemnisent le travail précaire (CDD, interim), 46 % des licenciements et ruptures conventionnelles. Les départs volontaires (ceux qui veulent vivre des allocations) ne représentent que 2 %. La grande majorité des gens veulent travailler seulement dans de bonnes conditions et avec un salaire correct.

Détresse matérielle

Le chômeur souffre d’une extrême précarité. Une étude a montré que 14 000 personnes par an décèdent du chômage. On prétend que les chômeurs seraient trop indemnisés et auraient la belle vie. En fait les indemnités sont calculées sur la durée du dernier emploi et s’élèvent au maximum à 75 % du dernier salaire. Elles ne sont pas versées en cas de démission et limitées à 2 ans même si on a travaillé 20 ans avant d’être au chômage. 60 % des chômeurs touchent moins de 1000 €. Aujourd’hui une personne est pauvre quand elle touche moins de 1026 €/mois. 5 % des chômeurs seulement touchent plus de 2000 € /mois.  Certains pensent le chômage « généreux » parce qu’il permet de retrouver jusqu’à 75 % de son salaire brut contre un maximum de 67 % en Allemagne. En réalité, en termes d’indemnisations (compte tenu de l’ensemble des paramètres allocations logement prestation familiales, exonérations d’impôts), la France se situe légèrement au-dessous de la moyenne de l’OCDE. Les chômeurs qui gagnent plus qu’en travaillant, ne représentent que 4 % des chômeurs selon l’Unedic, sur des durées très courtes et pour des salaires très faibles.

Souffrance morale

Les personnes sans emploi souffrent de discrimination et de stigmatisation. Le mot lui-même, du latin caumare désignant le repos pendant les chaleurs fait peser le soupçon d’oisiveté volontaire. On devrait plutôt dire « sans emploi » comme en anglais et en allemand ou mieux « privés d’emploi ». Selon le Préambule de la Constitution française : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ».

Le non-recours est très important

Il y a plus de chômeurs que de gens indemnisés. Une partie significative des chômeurs ne font pas faire valoir leurs droits : 1 chômeur sur 3 ne touche aucune indemnité. En France, le montant des droits non perçus excède largement la fraude sociale. On constate un accroissement du non-recours aux allocations. RSA : 50 % de non recours, RSA-activité (pour les travailleurs pauvres) : 68 % de non-recours, ACS (aide au paiement d’une complémentaire santé) : 60 à 70% de non-recours. Au total, Le système d’assurance-chômage n’indemnise que 60 % des chômeurs ; ce sont 10 milliards non réclamés chaque année.

La fraude sociale est très marginale

Les fraudeurs ne sont pas ceux qu’on croit. En 2013 la fraude aux prestations sociales (ceux qui perçoivent des aides sans y avoir droit) était de 350,5 millions. La fraude aux cotisations sociales (employeurs qui ne paient pas ce qu’ils devraient) était de 20 à 25 milliards, soit 70 fois plus. Enfin, même si 10 % des dépenses de l’assurance-chômage étaient liées à des prestations indues, on atteindrait avec difficulté une perte pour les caisses d’assurance-chômage de 3 milliards d’euros par an… soit une somme très éloignée du montant de la fraude fiscale, estimée à 50 milliards d’euros par an pour la France.

Mythe des emplois non pourvus

Ce n’est une question de volonté ni de mérite : il n’y a pas assez d’emploi pour tous

Chiffre des emplois non pourvus questionnable

La comptabilisation des emplois non pourvus (offres retirées sans avoir conduit à une embauche) est établie de manière questionnable : Comme Pôle emploi accueille un tiers des propositions d’embauche françaises, on triple tout simplement le volume de celles qui ne sont pas pourvues. Or Pôle emploi recevant les offres les plus difficiles, rien ne permet d’extrapoler à partir de cette source.

Beaucoup d’emplois non-viables

D’autre part, de nombreuses annonces ne correspondent pas à des emplois viables mais à des emplois ultra-précaires (contrats courts ou ultracourts (Pôle emploi 2019 : 55 % des offres sont des CDD dont 35 % de moins de 6 mois), des « sous-emplois » (pénibilité, horaires décalés, salaire ridicule par rapport aux compétences exigées), des recruteurs inexpérimentés, des postes inexistants, des offres servant à la constitution par l’employeur d’une base illégale de CV, des trappes à pauvreté : entre 2007 et 2011, environ cinq cent mille personnes ont dû renoncer à un poste en raison de problèmes de logement et du surcoût de la mobilité exigée.

Un nombre d'emplois de toute façon largement insuffisant

En 2018, d’après le ministère du Travail, il y avait 150 000 emplois non pourvus. Selon le BIT il y a 3 millions de chômeurs. Un simple calcul montre que même si tous emplois étaient pourvus, le problème du chômage ne serait pas réglé. En réalité, 98 % des propositions d’embauche trouvent preneur. Seuls 12,6 % des chômeurs retrouvent un emploi grâce à Pôle emploi. Au 1er trimestre 2019, il y avait 196 000 emplois vacants pour 5,6 millions de chômeurs (soit 28 fois plus que de postes à pourvoir).

Un accès au marché du travail inégal

Une partie des personnes qui réussit est convaincue que c’est de son propre mérite. Ceux qui ne réussissent pas ne sont pas méritants. Cette vision néglige complètement les inégalités à la base et part d’une vision idyllique selon laquelle l’égalité des chances serait réalisée, ce qui est tout à fait inexact. En situation de précarité, il y a cumul des malchances et inégalités. La précarité des parents a un impact évident sur les facultés d’apprentissage. Le système scolaire et par la suite le marché du travail sont fortement inégalitaires. Ceux qui ne peuvent acquérir assez de qualifications sont pénalisés.

Ce qui conduit à…

Des politiques « incitatives » par la réduction des prestations

En France, les réformes entreprises au nom de l’« encouragement au travail » répondent aux exigences du worfare. Elles alternent le bâton et la carotte en direction des chômeurs. Le mécanisme d’intéressement à la reprise d’emploi pour les bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI) a plusieurs fois été réformé, les dispositifs d’aide au logement reprofilés, les seuils et la durée d’exonération de la taxe d’habitation revus, la prime pour l’emploi, créée en 2001, renforcée par les gouvernements successifs. Le revenu minimum d’activité (RMA) a fait son apparition en 2004. Le RMI, qui n’a plus été revalorisé depuis bien longtemps, a perdu 25 % de sa valeur par rapport au smic depuis 1990, les droits aux allocations-chômage revus à la baisse, en 2004 et en 2006, en allongeant, d’une part, la durée minimale d’activité nécessaire à l’ouverture des droits, et en diminuant, de l’autre, la durée d’indemnisation. La durée de l’allocation spécifique de solidarité (ASS), qui « recueillait » les recalculés de l’assurance-chômage et les chômeurs en fin de droits a été considérablement réduite. Parallèlement, les contrôles et les sanctions à l’égard des « faux chômeurs » se sont précisés. La réforme de l’assurance chômage est une tentative supplémentaire pour inciter les gens, et rompre avec des mesures jugées « désincitatives ». « Redynamisation » est le nom politiquement correct donné au contrôle des chômeurs.

Une réforme inutile et idéologique pour affaiblir la protection sociale

La réforme est censée économiser de l’argent. La dette de l’Unedic depuis 2008 (37 milliards), due non aux syndicats ni aux chômeurs mais à la crise financière et aux politiques d’austérité, a été aggravée parce qu’on a imposé à l’Unedic de financer le fonctionnement de Pôle emploi (soit une ponction annuelle de 3,5 milliards d’euros sans laquelle l’Unedic n’aurait pas de dette). De plus, la réforme est inutile puisque l’Unedic arriverait de toute façon à l’équilibre en 2020-2021. La baisse des prestations est donc idéologique. L’objectif du gouvernement est d’affaiblir la protection sociale. La réforme passera par décret sans vote du parlement. Elle va amener :

Un changement des conditions d’indemnisation

Avant pour l’ouverture des droits, il fallait avoir travaillé 4 mois sur les 28 derniers mois. Désormais, ce sera 6 mois sur les 24 derniers mois. Ainsi, environ 200 000 personnes parmi les plus précaires seront privées d’allocations. Il faudra avoir travaillé 6 mois et non plus 1 mois pour recharger ses droits au chômage ce qui sera impossible à la plupart des travailleurs précaires.

La réintroduction de la dégressivité des allocations pour les cadres

Les personnes qui gagnent plus de 4 500 € bruts/mois verront leurs allocations baisser de 30 % après seulement 6 mois. Pourtant il a été maintes fois montré que la dégressivité ne favorise pas le retour à un emploi stable. Les cadres contribuent déjà pour 42 % aux ressources de l’Unedic et ne reçoivent déjà que 15 % des allocations. Cette mesure est un ballon d’essai pour introduire la dégressivité pour tous les salariés.

Changement des modalités de calcul de l’allocation

À la suite du mensonge de Muriel Pénicaud selon lequel 20 % des chômeurs toucheraient plus que s’ils travaillaient, l’allocation sera calculée sur le salaire mensuel et non le salaire journalier. Un salarié en chômage partiel verra donc son allocation divisée par deux s’il tombe en chômage total.

Durcissement des contrôles et sanctions

Absence à un rendez-vous

Les chômeurs seront radiés un mois de Pôle emploi s’ils ratent un RV avec le conseiller, 2 mois au 2e RV manqué, 4 mois au 3e. Auparavant, le revenu de remplacement n’était amputé que de 20 % lors du premier manquement.

Justification de recherche et maîtrise d’Internet

Les chômeurs perdent 1 mois d’allocation s’ils ne justifient pas de recherche d’emploi. Désormais ils doivent créer un « espace personnel » où ils reçoivent leurs convocations qu’ils doivent enrichir en permanence (CV, « carnet de bord numérique », justificatifs de recherche d’emploi à raison de 35h/semaine). Les personnes qui ont des difficultés en informatique (souvent précisément celles qui sont le plus éloignées de l’emploi) peuvent se voir privées de leurs droits.

Refus d’offres raisonnables d’emploi (ORE)

On ne peut plus refuser d’emploi pour une question de salaire, même si le salaire est bien inférieur au précédent. Il est impossible de refuser deux offres sous peine de perdre ses allocations. D’après le décret du 28 décembre 2018 en application de la « loi sur la liberté de choix de son avenir professionnel », les chômeurs devront dorénavant accepter n’importe quel emploi, à n’importe quel prix ou ne plus bénéficier de leur droit aux indemnités. Des sanctions tombent au bout de deux refus d’« offres raisonnables d’emploi » (ORE). Les ORE sont définies en fonction du métier, du salaire et de la distance à parcourir. Jusqu’à présent, on considérait comme une ORE toute offre payée 95 % du dernier salaire pour les inscrits depuis trois mois, 85 % pour les personnes privées d’emploi depuis six mois, au niveau du revenu de remplacement perçu pour les chômeurs inscrits depuis un an et plus. Le trajet maximum à effectuer ne devait pas excéder une heure (aller) ou trente kilomètres. Les critères d’ORE ont disparu et l’employé de Pôle emploi peut estimer seul si une offre est raisonnable ou non, et donc décider de la suspension du revenu de remplacement.

Réclamations non suspensives

Toute radiation conduit à une interruption du versement des indemnités, même si le chômeur conteste la décision.

Augmentation du nombre de contrôleurs de Pôle emploi

Il est question d’augmenter les effectifs de deux cents à mille d’ici à la fin de 2019, en réaffectant essentiellement l’effectif existant. Il s’agit donc d’une baisse du nombre de personnes chargées d’aider les demandeurs d’emploi pour augmenter le nombre de celles qui les traquent…

Donc une précarisation accentuée des chômeurs

Ces politiques ne résolvent pas le problème du chômage puisque elles ne s’attaquent pas à sa cause. Au contraire, elles renforcent le problème. Elles accroissent la précarité notamment pour les jeunes travailleurs surtout non qualifiés. On va moins donner de prestations, donc injecter moins d’argent dans l’économie. Il y aura donc moins de demande donc moins de croissance donc moins d’emploi : cercle vicieux (cf. Fiche 5 Croissance et chômage).

Il y a des alternatives

Il faut s’attaquer aux vraies causes du chômage. Les chômeurs ne sont pas responsables du chômage de masse (cf. Fiche 5).

Pour approfondir la réflexion…

LIVRES

Studs Terkel, Hard Times (analyse du basculement qui a fait passer les chômeurs du statut de victime dans les années 30 à celui de responsable de leur sort dans les années 80)

ARTICLES

Le Monde diplomatique, Chômage, le mythe des emplois vacants, Hadrien Clouet
Le Monde diplomatique, Économistes en guerre contre les chômeurs, Laurent Cordonnier 
Le Monde diplomatique, Le travail, droit ou devoir ?, François-Xavier Devetter

VIDÉOS

Limiter les indemnités chômage : la fausse idée sociale !
https://www.youtube.com/watch?v=mQD9yj6IugM
LE CHÔMAGE TUE ?! – Sharp
https://www.youtube.com/watch?v=wI_KjUEmyE4
L’arnaque du chômage – Partie 1 – Le nouveau décret
https://www.youtube.com/watch?v=-fO7y7sJc6A
SLEM Saison 2 #3 : Le chômage : La faute aux chômeurs ?https://www.youtube.com/watch?v=8VV3vYSuviI
Le Média chronique éco ASSURANCE CHÔMAGE : LA GRANDE ESCROQUERIE DE MACRON
https://www.youtube.com/watch?v=diTO9xoSMoY

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