Démarches citoyennes : l’erreur de base

Vous êtes militant ou simple citoyen et vous ne faites pas confiance aux forces politiques existantes, ou pas assez pour les laisser vous représenter aux prochaines élections. Ou bien encore, vous êtes partisan d’une force politique cherchant à mener une liste citoyenne lors des prochaines échéances électorales.

Vous avez donc décidé, avec une bande d’amis, de proches ou de camarades, de mener votre propre mouvement local, citoyen, démocratique, salade, tomates, oignions etc. Il y a alors deux impératifs : créer le projet politique et désigner les candidat-e-s. La logique voudrait que votre groupe de départ propose des fondamentaux politiques auxquels devra adhérer toute personne rejoignant la démarche. Ces fondamentaux serviront de base programmatique qui sera ensuite développée au fil du temps jusqu’à aboutir, dans un collectif de personnes de plus en plus grand, à un véritable programme politique local. Le collectif pourra alors désigner les personnes représentant au mieux ce programme et parmi elles, si ce sont des élections municipales ou régionales, celui ou celle qui aura la responsabilité de la tête de liste.

Cependant, le rejet de la caste politique a amené certaines personnes à vouloir aller plus loin dans les techniques de démocratie participative et d’intelligence collective, et à orienter la démarche vers un modèle de « démocratie permanente ». Cette nouvelle exigence amène à la tentation de penser qu’il n’est point besoin de programme politique dès lors que le collectif fonctionne démocratiquement et que les décisions sont prises de manière inclusive, calme et sereine. Il arrive qu’on pousse le vice jusqu’à se concentrer sur une méthode de désignation des candidat-es, toujours parfaitement démocratique, avant même d’avoir un début de programme. En ayant les meilleures intentions du monde, on peut trouver logique de se concentrer sur ce qui cristallise le plus de tensions. D’autant plus si la démarche est rejointe par un ou plusieurs mouvements politiques avec leurs demandes liées à leur stratégie nationale.

Pourtant, sans base programmatique, une telle démarche est non seulement un appel du pied à toutes les forces politiques opportunistes pouvant aller jusqu’à la droite qui ne manqueront pas de venir vous faire un coucou, mais c’est surtout se priver d’un cadre qui permet de résoudre les conflits de désignation des candidat-e-s. En effet, construire un programme politique, lui donner des objectifs et des priorités, c’est aussi établir des critères objectifs sur les personnes à même de le représenter. Ces critères permettent de solliciter certaines personnes qui ne pensaient pas forcément à se présenter auparavant alors que justement ils représentent quelque chose, au-delà de leur personne, au travers de leurs actions militantes en amont de l’élection. Or on a besoin de candidat-e-s légitimé-e-s non pas uniquement par un groupe donnant sa bénédiction, mais par des valeurs politiques et des engagements concrets mesurés par le plus grand nombre.

Donner trop d’importance au processus interne revient à établir une forme de méritocratie liée à la participation aux activités internes au détriment d’une diversité sociale et d’une légitimité extérieure au collectif. De plus, plus un processus est complexe, plus il favorise l’émergence d’une forme d’élite qui dispose à la fois du temps et des compétences nécessaires pour animer le mouvement. Toutes sortes de personnes se trouvent ainsi écartées du fait de leur niveau d’études, de leurs conditions de travail, de leur vie de famille etc.

Par ailleurs, les efforts demandés par cet investissement dans une démarche complexe amène un besoin accru de reconnaissance personnelle chez celles et ceux qui les ont consentis, au détriment d’une vision collective tournée vers l’extérieur. Malgré les bonnes volontés, un climat délétère de compétition peut s’installer et continuer d’enfermer le mouvement dans des querelles internes.

Il est inévitable qu’un choix de candidat-e-s comporte son lot de déçu-e-s parmi celles et ceux qui n’ont pas été retenus et la gestion de cette déception est importante. Il s’agit de ne pas perdre des forces militantes qui se démotivent et démotivent les autres. Et de ce fait, pour entendre raison, des critères politiques seront toujours plus acceptables qu’une séance de désignation bienveillante sur des critères personnels, même accompagnée des meilleures techniques d’animation démocratiques du monde.

En résumé si vous voulez créer votre mouvement citoyen, que vous soyez dans un parti ou non, ne faites pas l’impasse sur l’importance de la construction programmatique qui est la base, le socle de toute organisation politique saine. Nos combats ne sont pas des combats symboliques, ils sont concrets et nous ne pouvons pas nous contenter d’un chèque en blanc sous prétexte que le modèle est dit démocratique. Nous rejoignons des idées, des propositions, un programme et qu’importent les personnes ou la technique, notre confiance ne reviendra qu’en joignant les actes à la parole.

Vous aimez cet article ?

Newsletter