Des chiffres et de l’idéologie

On dit que...

Le chômage baisse ! Les chiffres du chômage sont bons…

Ce qui sous-entend que…

Les politiques de lutte contre le chômage menées par les gouvernements depuis des années sont efficaces. Muriel Pénicaud, ministre du Travail (juillet 2019) : « Les réformes du gouvernement portent leurs premiers fruits pour nos concitoyens. »

En réalité…

La diminution du chômage est factice : le « halo » du chômage augmente

Une baisse de la population active

En France métropolitaine, d’après l’INSEE, le taux de chômage est à 8,2 % soit une baisse de 0,2 point. On oublie cependant de préciser que le taux d’activité a baissé aussi : d’après le BIT et l’INSEE, on enregistre une baisse de  0,2 points pour la même période. Cela signifie que de nombreuses personnes sont sorties de la population active, donc des statistiques du chômage, mais restent hors du marché du travail. 
Rappel : On distingue les ACTIFS : travailleurs en emploi et privés d’emploi (un chômeur fait partie des actifs), et les INACTIFS : étudiants, retraités (c’est-à-dire les personnes qui ne cherchent pas d’emploi)

Des définitions du chômage restrictives qui masquent la réalité de l’emploi en France

Selon le Bureau international du travail (BIT) et l’INSEE

Pour être considéré comme chômeur, il faut :
1/ Ne pas avoir travaillé la moindre heure pendant la semaine de référence
2/ Être disponible pour prendre un travail dans les 15 jours
3/ Avoir cherché un emploi activement dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois

Selon Pôle emploi, 5 catégories d’inscrits

E : personne pourvue d’un emploi
D : personne sans emploi mais pas immédiatement disponible (formation, maladie)
C : personne ayant exercé une activité réduite de plus de 78h/ mois (> 20h/semaine)
B : personne ayant exercé une activité réduite de moins de 78h/ mois (< 20h/semaine)
A : personne sans emploi à la recherche d’un emploi quel que soit le type de contrat

Les définitions du chômage amènent une diminution factice du nombre de chômeurs par invisibilisation. L’INSEE parle de « halo » du chômage pour décrire un phénomène de porosité entre l’emploi, le sous-emploi et le chômage et désigner les personnes en position intermédiaire face à l’emploi et non comptabilisées comme « chômeuses ». 
Selon la définition stricte, la baisse du taux de chômage au second trimestre 2019 amène à 2,4 millions de chômeurs (catégorie A). Mais dans le même temps, les catégories B et C ont fortement augmenté. Ainsi, le « halo » du chômage a augmenté (hausse de 63 000 personnes selon le BIT). Il y a donc en fait environ 5,6 millions de personnes en catégories A-B-C soit 19 % des actifs. En 2017 selon l’Observatoire des inégalités, on pouvait compter 8,1 millions de personnes fragilisées face à l’emploi au total soit un quart du total des actifs. 

Le sous-emploi ou « quasi-chômage »

Il suffit d’avoir travaillé une heure pendant la semaine de référence pour ne plus être considéré comme chômeur pour l’INSEE, ou sortir de la catégorie A pour Pôle Emploi. Ce critère laisse de côté les personnes en situation de faible employabilité ou de sous-emploi : temps partiels subis, personnes ayant un parent invalide et qui doivent adapter leur temps de travail à cette contrainte, mères de famille monoparentale qui n’ont aucun mode de garde pour leurs enfants. Selon les données 2018 de l’INSEE, la France compte 3,7 millions de ces travailleurs précaires (en intérim ou en contrat à durée déterminée). Le travail précaire a fortement augmenté ces dernières années transformant ainsi le chômage en sous-emploi. Le phénomène s’est accentué ces dernières années avec l’ubérisation. 

L’indisponibilité

Pour être considéré comme chômeur par l’INSEE, il faut être disponible pour prendre un travail dans les 15 jours. Ainsi, les personnes souhaitant un emploi mais non disponibles du fait d’une formation, par exemple, ne sont pas comptabilisées. Il faut avoir cherché un emploi activement dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois. Les personnes en CDD entre deux contrats ne sont donc pas considérées comme chômeuses. De même, selon la définition de Pôle Emploi, les personnes dans cette situation sont en catégorie D : ils ne sont pas tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi (en raison d’un stage, d’une formation, d’une maladie…). Pourtant, elles sont dans une situation équivalente à celles de la catégorie A.

Le découragement

Les chômeurs découragés qui ont abandonné les recherches disparaissent des statistiques une fois qu’elles sont arrivées en fin de droit. On compte environ 730 000 personnes dans ce cas, par exemple les personnes qui ne trouvent plus d’emploi dans leur secteur d’activité, trop âgées, trop peu qualifiées. Ces personnes confrontées à une réelle impasse professionnelle sont abondamment culpabilisées (cf. Fiche 3 Responsabilisation des chômeurs). 

L’absence d’actualisation

Les demandeurs d’emploi doivent actualiser chaque mois leur situation pour rester inscrits sur les listes de Pôle emploi. Un grand nombre de chômeurs sortent ainsi régulièrement des statistiques par simple oubli de s’actualiser. 

Les radiations

Le durcissement des contrôles et sanctions amènent à des radiations par Pôle Emploi de personnes qui pour autant n’ont pas retrouvé d’emploi (cf. Fiche 3 Responsabilisation des chômeurs).

Augmentation des inégalités sociales

Le chômage touche inégalement les catégories de la population

Certaines catégories sont plus touchées que d’autres selon la hiérarchie sociale et les qualifications : les ouvriers non qualifiés sont plus touchés que les qualifiés, les employés plus que les cadres (4 à 5 % de chômage seulement chez les cadres). L’âge : le chômage des jeunes est préoccupant : 24 % ; les plus de cinquante ans (licenciés parce que plus chers). Le genre : les femmes sont plus touchées que les hommes par le sous-emploi et les bas salaires (en France elles occupent 80 % des temps partiels), cependant, depuis 2008, en ce qui concerne le taux d’emploi, l’écart s’est beaucoup réduit et c’est chez les hommes qu’il a le plus baissé : le taux d’activité des hommes de 25-49 ans est passé de 97 % au milieu des années 1980 à 93 % en 2017 soit 600 000 hommes sortis du marché du travail. Les zones géographiques : les zones rurales et péri-urbaines (banlieues) sont plus défavorisées.

Augmentation de la précarité et de la pauvreté

Aggravation du chômage de longue durée

Il faut environ 15 mois pour retrouver un emploi en moyenne. À partir d’1 an, on parle de chômage de longue durée. Ce phénomène s’accentue et entraîne aussi le découragement et l’abandon des recherches. En France, en 2017, 40 % des inscrits à Pôle emploi étaient au chômage depuis 12 mois ou plus. Le chiffre monte à 60 % pour les séniors. 

Hausse du taux de pauvreté et augmentation des inscrits au RSA

Près d’un demandeur d’emploi sur cinq touche le revenu de solidarité active (RSA). Ce minimum de ressources garanti est insuffisant lorsque les situations d’exclusion du marché du travail se prolongent.

Ce qui conduit à…

Continuer la même politique néolibérale présentée comme efficace

La manipulation des chiffres et leur interprétation sanctifie les politiques déjà menées. Elle justifie la poursuite d’une politique néolibérale de flexibilisation du travail (cf. Fiche 5) et encourage à continuer les manipulations comptables qui la font passer pour efficace.

Il y a des alternatives

Il est urgent de dire la vérité sur les chiffres du chômage et de prendre la mesure de la réalité de l’emploi en France.

Pour approfondir la réflexion…

VIDÉOS

SLEM Saison 2 #1 : Combien y a-t-il de chômeurs en France ?
https://www.youtube.com/watch?v=4VUnxHMtkdA
Le Média L’opération de propagande du gouvernement
https://www.youtube.com/watch?v=08w0db53k8c
Chômage : demain, tous précaires de la start-up nation ? J. SAPIR | H. STERDYNIAK | R. DALMASSO
https://www.youtube.com/watch?v=YK6xGHSvYgA

ARTICLES

Hollande, Macron et le chômage, par Jacques Sapir
https://www.les-crises.fr/hollande-macron-et-le-chomage-par-jacques-sapir/

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