La Communication Non Violente en politique

La CNV, une mode qui reste un vœu pieux et non une pratique

Depuis plusieurs années, la Communication Non Violente (CNV) ne cesse de gagner en popularité. Bien présente dans le champ du développement personnel ou dans le monde de l’entreprise, il n’a pas fallu longtemps avant que cette popularité grandissante ne touche le milieu politique et plus précisément les organisations se réclamant d’un renouveau démocratique fondé sur de nouvelles méthodes. En effet, la mauvaise image de la politique continue de se renforcer et les organisations, toujours en perte de vitesse et de forces militantes, ont cruellement besoin de renouvellement concret, au-delà des belles paroles, pour redonner confiance et envie au grand public.

Il serait réducteur, voire erroné, de penser que l’intérêt soudain pour la CNV vient d’une volonté de certaines organisations politiques de se refaire une vertu. Au contraire, ces dernières se retrouvent souvent démunies face à une poignée plus ou moins importante de personnes déterminées à mettre en place ce cadre de communication auquel il est difficile de s’opposer. Sémantiquement, en effet, il paraît évidemment très difficile de dire non à la communication « non violente ». 

Les organisations politiques ont donc dû prendre en compte cette demande dans leur fonctionnement interne, et montrer un renouvellement des pratiques (le vieux monde contre le nouveau monde, toi-même tu sais). Cependant, malgré certaines bonnes volontés, on se retrouve souvent face à des mesures de façade plutôt qu’à un réel changement, alors même que ce n’est pas forcément imputable à la mauvaise foi des personnes concernées.

En matière de CNV, on se rend compte d’une première difficulté dans la confusion entretenue entre l’outil et le concept de non-violence dans la communication. Le processus de communication développé par le docteur Marshall Rosenberg, possède des théories, des définitions bien précises, une nomenclature à part entière, de l’imaginaire de la girafe et du chacal au bonhomme de l’OSBD[1] (d’ailleurs, le terme même de CNV est une marque déposée aux États-Unis). C’est un outil qui doit être maîtrisé, doté d’une méthodologie appuyée sur des exercices concrets. Cela demande une attention particulière et des efforts de formation et de pratique. En revanche, le concept de non-violence seul, s’il peut faire l’objet d’un consensus théorique en tant que but à atteindre, n’est pas opérant. Sans méthodologie ni applications concrètes (que ce soit celles préconisées par Rosenberg ou d’autres), le concept de non-violence reste trop souvent une incantation, un vœu pieux qui relève uniquement de la bonne volonté individuelle mais échoue à faire système.  

De l’envie de communication non violente à la nécessité du cadre non violent

Pour passer du simple concept consensuel de non-violence à sa mise en pratique réelle au moyen d’outils, nous partons du postulat qu’il faut un cadre. Or dans une organisation, la nécessité de mettre en place ce cadre non-violent est problématique. Cela suppose a minima que le constat selon lequel le cadre actuel est violent soit partagé. Or, les constats, quand il s’agit de violence, sont rarement unanimes.

Commençons par la violence interpersonnelle. C’est la plus évidente à percevoir : il y a une victime et un agresseur. Le préjudice moral ou physique subi par une personne est la plupart du temps rattachée à son responsable, par exemple, quand un individu se met à insulter une autre personne. Pourtant, même dans ce schéma simple, les opinions peuvent diverger ; on prête des justifications, des circonstances atténuantes, aggravantes, etc. 

Mais il existe une violence qui n’a pas un ou plusieurs responsables (ou alors tout le monde est responsable). C’est celle qui provient du mode d’organisation et des règles qui en découlent : la violence institutionnelle. Elle est beaucoup plus difficile à repérer que la violence interpersonnelle et même n’est pas forcément reconnue comme telle. Il y a une violence structurelle de l’institution dans la mesure où elle est toujours du déjà-là, déjà-admis. Au niveau d’une société, on naît dans un système déjà là, qu’on n’a pas choisi. De la même façon, quand on rejoint une organisation, les règles sont aussi déjà établies (ou absentes, ce qui n’est pas forcément mieux). Le seul fait d’être déjà établi en tant que règle, fonctionnement, leur donne une autorité[2]. Pourtant ces règles peuvent être injustes. L’élaboration des prises de décision peut ne pas faire assez de place au collectif (il peut par exemple y avoir un usage violent du vote quand il est mal organisé). La violence symbolique (liée à la classe sociale, au niveau de diplôme, au genre, etc.) peut être ignorée par le cadre qui de ce fait la cautionne. Les inégalités en tout genre et les phénomènes de domination s’exercent par exemple lors des désignations de candidats sans que pour autant on ne puisse désigner de coupable. Il y a donc violence institutionnelle quand les règles du jeu sont violentes ou qu’elles ne donnent pas suffisamment de protection, d’égalité, aux individus. 

La violence institutionnelle doit donc être réduite au maximum. Mais encore faut-il pouvoir la reconnaître et débattre de ce sujet. Car la question qui se pose est celle de la violence légitime. Le cadre non-violent qu’il s’agit de poser, en tant que cadre institutionnel portera en lui aussi de la violence puisque toute institution s’accompagne de « violence légitime ». L’institution, en créant des règles, s’assure de leur respect par l’usage de moyens et procédés décourageants voire répressifs. Cet usage légitime une violence qui est acceptée par le groupe. Ainsi, dans une association par exemple, un règlement intérieur prévoit souvent un panel de sanctions en cas de non-respect des règles, allant jusqu’à l’exclusion définitive. Il est donc impératif, si l’on souhaite un cadre non-violent, de remettre en question ces cadres afin de réduire un maximum la violence des dispositifs mis en place, que ce soit dans les processus de désignations ou de sanctions. Sans remettre en question la violence légitime, il est important de réactiver la notion de légitimité. C’est d’ailleurs ici que l’outil de la Communication Non-Violente peut trouver son utilité dans le débat. La légitimité ne peut se produire que dans l’adhésion aux règles fixées. Il s’agit d’un processus susceptible d’être sans cesse réactivé. Il faut conjuguer une suffisante capacité à remettre en question les règles tout en assurant la fermeté d’un cadre qui assure le respect des droits et devoirs des individus. Bien sûr, à partir du moment où il existe des sanctions nécessaires à la préservation du groupe, il y a peu de chances que ces sanctions soient perçues comme normales ou agréables par la personne qui les subit. Au contraire, la sanction est souvent jugée injuste, la violence ressentie est d’autant plus forte. Pourtant, pour le bien (voire la sécurité) du groupe, il est nécessaire d’appliquer ces sanctions si besoin est. 

La violence institutionnelle est difficile à repérer, ce qui constitue un premier obstacle à la mise en place d’un cadre non-violent. Mais par ailleurs, l’intrication des problématiques personnelles et systémiques est un obstacle à la mise en place d’un cadre non-violent. Demander un cadre non-violent revient à dire que le cadre précédent était violent et que ses responsables étaient in extenso responsables de cette violence. Ainsi, la demande de mise en place d’un cadre non-violent peut générer une importante levée de boucliers. Toute remise en question du cadre sera interprétée comme une remise en question des cadres (personnes). Ces derniers seront souvent réticents au changement. D’une part parce que le cadre précédent les a légitimés et qu’ils risquent de subir une perte de légitimité. D’autre part parce que le cadre précédent leur convenait et qu’ils ont réussi à le maîtriser (comme le prouve leur position). On peut théoriquement séparer la personne de son statut et remettre en question celui-ci sans remettre en question celle-là. Mais en pratique, cela reste très compliqué. Le cadre (personne) incarnant le cadre (organisation), il est très difficile que l’incarnation ne se sente pas visée personnellement par des critiques en réalité structurelles.

La CNV (n’) est (qu’) un outil

La CNV ne supprime pas les conflits et elle n’a pas à le faire non plus puisque l’essence de la politique est le désaccord, le débat. Il serait malsain voire totalitaire d’espérer une unanimité permanente et de ne pas tolérer les divergences d’opinions. En politique plus qu’ailleurs, le débat, concernant les idées ou la stratégie, est au cœur de l’organisation. Souvent conflictuel, il n’est pas nécessairement violent. Cependant, la dérive violente est fréquente à cause du parasitage par les enjeux de pouvoirs et les problèmes interpersonnels qui gravitent autour. Pourtant, il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain et considérer que c’est le débat qui amène la violence. Au contraire, les divergences d’opinions sont saines dans une organisation et leur résolution permet souvent d’en sortir grandi. Vouloir éviter le débat par peur du conflit, c’est comme vouloir faire du ski en évitant la neige et les pentes. Reste que le conflit doit être encadré et que ce cadre doit garantir la sécurité morale et physique de tout-es ses participant-e-s. La CNV est un bon outil afin d’accepter les dissensus pour ce qu’ils sont et éviter de prendre personnellement et psychologiquement des conflits d’idées. Il est d’autant plus important d’en être conscient-e que la peur du conflit et de la violence, amène souvent à étouffer des situations problématiques, ce qui veut dire renvoyer tout le monde dos à dos et donc aggraver la violence perçue.

À cet égard, l’écueil fréquent est l’utilisation de la CNV comme bouclier ou prétexte pour la manipulation. C’est assez simple : à chaque fois que le groupe prend une décision qui ne vous convient pas, vous exprimez à quel point c’est violent pour vous et vous pointez un problème dans les manières de faire des autres. C’est bien évidemment un énorme dévoiement de l’outil. La CNV est censée débloquer des situations de communication : s’en servir afin de générer un blocage dans le processus de décision est une manipulation grossière. La clé de la non-violence est donc la mise en place d’un système juste et équitable pour toutes et tous où chaque problématique a été réfléchie afin de diminuer au mieux la violence institutionnelle. Il faut que les règles soient unanimement acceptées et que leur pertinence puisse être régulièrement discutée, d’où l’intérêt d’un outil de communication adéquat. Une communication non-violente établie ne réside pas uniquement dans les moyens de résoudre les conflits mais surtout dans la manière de les prévenir. Ainsi, il est primordial que chacun-e puisse être un minimum formé à la clarification et à l’expression de ses besoins et qu’il y ait une réponse institutionnelle. Si une bonne utilisation de la CNV peut vraiment apporter du positif dans une organisation politique, elle nécessite une formation et un cadre sérieux qui accepterait d’être remis en question. Sans quoi, il ne s’agit au mieux que d’une décoration, d’une sorte de faire-valoir qui ne change strictement rien.

La CNV ne résout pas non plus les problèmes de conflits (idéologiques) graves. Une maîtrise parfaite des outils de communication non-violente ne signifie pas que nous sommes au-dessus de nos problèmes psychologiques. Il y a une confusion fréquente : certaines personnes pensent que la maîtrise des techniques et outils de communication permet d’accéder automatiquement à une forme de sagesse ou de résoudre des problèmes psychologiques latents. En fait, non. Même si améliorer sa communication ne peut qu’être une bonne chose, on ne peut résoudre des problèmes psychologiques importants qu’en se soignant et en travaillant sur soi, le plus efficace étant l’aide d’un tiers en thérapie. La CNV n’est qu’un outil. La CNV ne vous aidera pas dans le ressenti vos peurs ou votre détestation par rapport à certaines personnes, elle propose une méthodologie pour ne pas se blesser soi et les autres. Il en va de même concernant les désaccords idéologiques. Même si grâce à la CNV vous pourrez mieux exprimer votre désaccord et entendre celui des autres, il n’en reste pas moins que face à un désaccord majeur, la CNV ne résoudra rien. 

L’utilisation de la CNV ne garantit en rien l’efficacité d’une organisation ni de son positionnement politique. Évitons la considération simpliste selon laquelle une organisation qui se veut démocratique est forcément « à gauche » ou qu’un projet de fonctionnement démocratique suffit à faire un projet politique en soi. Ce n’est pas non plus une stratégie de prise de pouvoir car la qualité de l’organisation interne n’est pas une donnée suffisamment déterminante dans la réussite électorale. La CNV est donc à prendre uniquement pour ce qu’elle est : un outil pouvant améliorer la communication interne et éviter certaines divisions stupides en établissant au départ le meilleur cadre possible.


[1] OBSD : Observation, Sentiments, Besoins et Demande sont les premières étapes de la CNV. Elles sont souvent représentées par un bonhomme. La girafe et le chacal sont respectivement la représentation métaphorique du Dr Rosenberg de la communication non-violente et de la communication violente.

[2] Comme pour la tradition : « – C’est injuste. – Oui, mais c’est la tradition. »

Vous aimez cet article ?

Newsletter